Suivre le changement global en Antarctique grâce aux satellites

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Publié le 24 septembre 2021

Les pôles jouent un rôle primordial dans le système climatique et sont à la fois acteurs et particulièrement sensibles aux effets du réchauffement. Leur surveillance étroite est donc fondamentale.

Le projet STEREO MIMO (Monitoring melt where Ice Meets Ocean), qui vient de s'achever, avait pour objectif d'améliorer la surveillance de la calotte glaciaire de l'Antarctique dans le contexte d'un monde en mutation. Grâce à l'imagerie satellitaire SAR, le projet a apporté des avancées majeures dans la quantification de paramètres utilisés dans les modèles de prédiction du comportement de la calotte glaciaire.


Vitesses de déplacements de la glace obtenues par intérférométrie sur la plateforme de glace Roi Baudouin.

Les excès de vitesse de la glace surveillés par l'interférométrie

Plusieurs techniques utilisant les images SAR permettent de cartographier les déplacements de surface de la glace et d'en déterminer les vitesses. L'une de ces techniques est l'intérférométrie. Chaque pixel d'une image SAR contient une information d'amplitude, liée à la réflectivité du sol et une information de phase, liée à la distance entre le satellite et le sol. Un interférogramme est obtenu en soustrayant la phase de deux images prises à des dates différentes. Un déplacement provoquera un déphasage dans l'interférogramme.

L'énergie fossile, un luxe qui coûte cher

L'utilisation des énergies fossiles a marqué le début de l'Anthropocène. Bien que les énergies renouvelables soient en plein développement, les combustibles fossiles, émetteurs de gaz à effet de serre, représentent encore plus de 80 % de la consommation mondiale d'énergie.

Avec une population proche des 8 milliards d'habitants (toujours en croissance) et une émission annuelle de CO2 (ou équivalents) autour de 6-7 tonnes par habitant (stable depuis 1970), l'humanité laisse une empreinte gigantesque. Le réchauffement dû à l'augmentation des gaz à effet de serre, connu depuis 125 ans maintenant, n'est depuis longtemps plus seulement une théorie ; nous l'observons et l'expérimentons au quotidien.

Le changement de température à la surface du globe observé et simulé à l'aide d'une combinaison d'éléments humains et naturels ou uniquement à l'aide d'éléments naturels. Source: GIEC, 2021.

Les conséquences du réchauffement global sont innombrables. Ci-dessus, un graphe montrant l'évaluation des risques liés au réchauffement climatique. Source: Rapport AR5 du GIEC, 2014.

Les océans absorbent une part importante du réchauffement et l'un des impacts les plus visibles et directs est l'élévation du niveau de la mer, dévastatrice alors que la majorité des grandes villes sont situées dans des zones côtières. Le réchauffement est amplifié dans les régions polaires et le dépassement de points de basculement critiques pourrait entraîner une fonte irréversible des calottes glaciaires (Groenland et Antarctique), qui provoquerait une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres au cours des prochains siècles.

L'Antarctique, un barrage prêt à s'effondrer

L'Antarctique est la plus grande masse de glace sur Terre, posée sur un continent rocheux. Sous l'effet de la gravité, cette masse se déplace vers l'océan; à son contact, la glace se met à flotter et forme des plateformes de glace flottante. Ces plateformes, qui entourent 70 % de l'Antarctique, jouent un rôle important dans la stabilité de la calotte glaciaire. Considérées comme sa ceinture de sécurité, elles agissent comme des régulateurs de l'écoulement de la glace en exerçant ce qui est appelé un effet de contrefort (par des contraintes locales dans une baie ou via des éléments topographiques).

A l'équilibre, une plateforme de glace gagne autant de glace qu'elle n'en perd. En raison de facteurs comme l'augmentation de la fonte basale et du vêlage induits par le réchauffement, cette stabilité est compromise pour un nombre croissant de zones autour de l'Antarctique. L'amincissement ou l'endommagement des plateformes de glace provoquent une accélération de l'écoulement de la glace et un recul de la ligne d'ancrage, c'est-à-dire de la limite entre la glace flottante et la glace sur terre.


70% de l'Antarctique est entouré de plateformes de glace. La plupart d'entre elles sont des régulateurs actifs du flux de glace exerçant un effet de contrefort. Source: Fürst, J. J. et al. (2016).

L'Antarctique perd de la glace à un rythme croissant, passant de 40 Gt/an dans les années '80 à 250 Gt/an au cours de la dernière décennie. L'Antarctique est le plus grand contributeur potentiel à l'élévation du niveau de la mer. Sa contribution, qui était de 7 % pour la période 1971-2018, a atteint 14 % depuis 2016.

Contrairement à d'autres événements indésirables induits par le réchauffement climatique, l'élévation du niveau de la mer est irréversible à long terme et est susceptible de provoquer un bouleversement complet de la répartition géographique de la population mondiale. Comprendre les mécanismes du comportement des plateformes de glace est donc crucial pour l'étude des impacts du changement climatique. Le projet MIMO est né de cette perspective.

La télédétection SAR, un couteau suisse pour surveiller les plateformes de glace

Les plateformes de glace sont soumises à de multiples phénomènes géophysiques qui régissent leur comportement et participent à leur déstabilisation. Certains modèles tentent d'estimer leur vitesse de déplacement et leur épaisseur à partir d'observations visuelles des dommages qu'elles subissent, plutôt que sur base de mesures quantitatives. De même, l'intégration de la propagation des crevasses n'est pas couplée à des observations. Les campagnes de terrain sont en effet difficiles en Antarctique ; limitées aux périodes estivales, en raison de l'hiver froid et sombre, leur couverture spatiale est souvent restreinte et leur résolution ponctuelle.


Exemples de processus géophysiques influençant les plateformes de glace : vêlage, hydrofracturation, crevasses, précipitations, fonte de surface/basale, remontée d'eau profonde circumpolaire, vent catabatique, mélange de marée, migration de la ligne d'échouage, etc. Source: Dirscherl, M. et al (2020).

Grâce aux recherches menées dans le cadre de MIMO, il est désormais possible de combiner les produits de télédétection SAR (Synthetic Aperture Radar) avec des techniques conçues à l'origine pour l'imagerie médicale pour détecter automatiquement les fissures et surveiller la localisation du front de vêlage (frontière entre une plateforme de glace et un iceberg).

La technique a été testée sur le glacier de Pine Island qui souffre d'une dynamique forte, d'importants événements de vêlage et d'un recul général du plateau glaciaire. L'équipe a utilisé près de 200 acquisitions SAR du satellite Sentinel-1, de 2016 à 2020, avec 6 jours de décalage entre les images. La méthode nécessite une première étape comprenant une série robuste de prétraitements avec étalonnage des images, log-transformation pour améliorer le contraste, filtrage du speckle et géoprojection stéréographique polaire. Ensuite, le filtre SATO utilisé en imagerie médicale 3D et adapté par l'équipe aux données satellitaires, permet de détecter les pixels correspondant aux structures endommagées. Appliquée sur des images prétraitées, la méthode fournit comme résultat final la localisation des fissures et du front de vêlage et a permis de mettre en évidence des événements importants.


Détection de la propagation des fissures et du front de vêlage à partir de la série chronologique 2017-2020.

La technique développée par l'équipe du projet MIMO constitue donc une avancée majeure pour la surveillance des fractures et ouvre la porte aux résultats quantitatifs.

En conclusion, le projet MIMO a contribué à la compréhension de l'impact des facteurs climatiques dans la surveillance de l'inlandsis. L'étude des changements à petite échelle (dans l'espace et dans le temps) sur les plateformes de glace sont maintenant possibles grâce aux image SAR et aux techniques développées.

Les résultats obtenus durant le projet MIMO participent à une meilleure compréhension globale de la science physique du changement climatique. Les publications scientifiques qui ont découlé de cette recherche ont d'ailleurs d'ores et déjà été utilisées pour l'élaboration de documents officiels, tels que le récent rapport AR6 du GIEC, nécessaires à la production de documents techniques qui aident les décideurs politiques à prendre les bonnes décisions concernant l'Accord de Paris.

Plus d'infos

Projet STEREO MIMO (Monitoring melt where Ice Meets Ocean)

Remote Sensing of the Earth in Relation with South Pole Monitoring