Publié le 21 mars 2022
La végétation n'émet pas que de l'oxygène
La végétation libère des composés organiques volatils (COV), c'est-à-dire des molécules gazeuses composées d'atomes de carbone et d'hydrogène. Au niveau global, les émissions biogéniques de COV dominent d’un facteur dix les émissions anthropiques. Parmi les COVB (composés organiques volatils biogènes), un composé spécifique est émis en proportions beaucoup plus importantes que les autres : l'isoprène (C5H8). On estime que 350 à 800 millions de tonnes d'isoprène sont émises chaque année dans le monde. Cependant, en raison de sa courte durée de vie (environ 1 heure) et de l'extrême variabilité de sa concentration dans l'atmosphère, l'évaluation précise des émissions d'isoprène est extrêmement difficile.
Bien qu'inoffensif en soi, l'isoprène contribue à la formation et à la multiplication des particules fines et, dans les zones polluées, à l'ozone. L'isoprène est relativement omniprésent, mais il est principalement émis par les arbres dans des conditions chaudes et ensoleillées, notamment sous les tropiques. Les émissions dépendent également du type et de l'abondance de la végétation ou de la disponibilité en eau du sol, entre autres.
En raison de son importance pour la qualité de l'air et le climat, les scientifiques ont développé des outils de modélisation pour étudier cette molécule. Dans le cadre du projet STEREO III ALBERI (Assessing Links between Biogenic Emissions and Remotely-sensed photosynthesis Indicators), mené conjointement par l'Institut d'Aéronomie spatiale de Belgique et le laboratoire H-Cel de l'Université de Gand en partenariat avec le Department of Earth System Science de l'Université de Californie, l'objectif est de mieux décrire la réponse des émissions d'isoprène aux changements de végétation et aux sécheresses, point central de ce projet d'exploration. Voyons donc comment les conditions de sécheresse influent sur les émissions d'isoprène.
Un aperçu des outils et connaissances
En l'absence d'observations satellitaires directes de l'isoprène, les campagnes de laboratoire et de mesures en conditions naturelles fournissent des informations précieuses mais ne permettent pas d'avoir une vision globale. Pour étudier l'isoprène, les scientifiques utilisent des modèles d'émissions biogéniques et des observations par satellite du formaldéhyde (HCHO), un gaz qui se forme principalement à la suite de l'oxydation de l'isoprène dans l'atmosphère. Un modèle sophistiqué développé par les experts du projet permet de relier l'isoprène au HCHO en tenant compte des interactions et des processus de transport des composés chimiques.
Distribution globale des flux d'isoprène modélisés en juillet 2018. Les tropiques contribuent à raison de 80 % du flux annuel total.
Les études en laboratoire ont permis de démontrer que, lorsque les plantes subissent un stress hydrique modéré dû à une disponibilité limitée en eau dans les sols, les émissions d'isoprène augmentent. Afin d'atténuer les pertes d'eau par transpiration, les plantes ferment partiellement leurs stomates (minuscules orifices des feuilles permettant les échanges avec l'atmosphère), ce qui augmente la température des feuilles et, par conséquent, la production d'isoprène. La synthèse de l'isoprène est assez coûteuse en termes d'énergie pour les plantes ; elle doit donc en valoir la peine. Alors que certains COVB, comme les monoterpènes, sont associés aux odeurs agréables de pin et de citron, le rôle principal de l'isoprène est de protéger les plantes contre les dommages thermiques. Une sécheresse sévère ou prolongée entraîne cependant une diminution des émissions d'isoprène en raison d'une réduction de la photosynthèse. Par ailleurs, certaines plantes sont mieux adaptées à la sécheresse que d'autres.
La réponse de l'isoprène à la sécheresse : un défi à relever
Des études en laboratoire ont permis d'établir un lien simple et linéaire entre l'isoprène et l'eau stockée dans les sols. Récemment, les flux d'isoprène au sommet d'une tour de 32 m surplombant une forêt du centre des États-Unis ont été suivis expérimentalement pendant deux étés consécutifs concomitants à deux épisodes de sécheresse. Ces observations ont été utilisées pour améliorer le modèle d'émission. La généralisation de cette mise à jour à des échelles plus grandes s'est toutefois avérée difficile, car elle repose sur des données très incertaines telles que les propriétés très hétérogènes du sol ou le point de basculement qui marque le début de la réduction des émissions d''isoprène. De plus, un seul site d'étude n'est pas représentatif de la diversité des environnements au niveau global.
Observations par satellite du formaldéhyde à l'aide de l'instrument TROPOMI en juillet 2018. Les colonnes mises en évidence correspondent aux régions émettrices d'isoprène.
D'autres voies doivent donc être explorées. Celles-ci incluent le potentiel de la fluorescence chlorophyllienne induite par le soleil (rayonnement que les plantes émettent lorsqu'elles sont photosynthétiquement actives) pour la détection de la sécheresse, ainsi que l'utilisation de nouvelles mesures de l'isoprène. L'isoprène est en effet désormais observé depuis l'espace, et en Belgique, les émissions d'isoprène seront surveillées en continu à partir de juin 2022 sur le site de Vielsalm en Ardenne belge. Des recherches à poursuivre...
La fluorescence induite par le soleil pourrait être utilisée pour surveiller l'effet de la sécheresse sur l'isoprène.
ALBERI, un tremplin pour les recherches futures
Nos connaissances sur les émissions d'isoprène nous permettent de mieux évaluer la formation d'ozone et de particules fines et leur impact sur la qualité de l'air et le climat. Dans un futur où le monde connaîtra des sécheresses plus fréquentes et plus intenses, il est primordial de comprendre la réponse des émissions d'isoprène aux facteurs de stress environnementaux tels que le stress hydrique.
Le projet ALBERI a mis en évidence les atouts et les limitations de l'utilisation des propriétés très hétérogènes du sol comme indicateurs de sécheresse. Les résultats du projet ALBERI offrent un tremplin aux recherches futures qui aideront la communauté scientifique à réduire les incertitudes liées aux émissions d'isoprène, notamment grâce aux nouvelles observations par satellite de la fluorescence induite par le soleil et de l'isoprène, ainsi qu'aux mesures in situ des flux dans la canopée. De plus, les augmentations des émissions d'isoprène étant indicatives d'un début de stress thermique et hydrique, la surveillance satellitaire de l'isoprène pourrait être explorée comme un outil potentiel pour suivre le stress de la végétation.
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