SLUMAP : Cartographier les quartiers défavorisés pour définir des politiques de lutte contre la pauvreté

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Publié le 27 septembre 2022

En Afrique subsaharienne, l'augmentation rapide du rythme d'urbanisation est telle que les villes n'ont pas la capacité de répondre à la demande de logements abordables et de services. Par conséquent, les zones défavorisées spontanées (les "bidonvilles") prolifèrent. Selon les Nations Unies (ONU-Habitat), environ 60 % des citadins africains vivent dans des bidonvilles. Mais les estimations démographiques s’avèrent difficiles et peu fiables car les communautés défavorisées ne sont en général reprises ni sur les cartes ni dans les données officielles. Or, les organisations internationales, les autorités et les ONG ont cruellement besoin de données spatiales pour faire le point sur la situation et cibler les efforts visant à améliorer les conditions de vie. Les habitants des bidonvilles tiennent eux aussi à figurer sur la carte afin d’être véritablement reconnus comme des citoyens et de pouvoir faire entendre leur voix.


Enfants du bidonville de Mathare, Nairobi, Kenya

L'objectif global du projet STEREO III SLUMAP consiste à développer des méthodes basées sur l’OT pour la modélisation de la localisation, de l'étendue et des caractéristiques des zones urbaines défavorisées, en mettant l'accent sur l'extensibilité et la transférabilité, afin de contribuer à l'Objectif de Développement Durable 11 "Rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables". Les résultats sont utilisables à plusieurs niveaux, depuis les habitants et ONG de terrain jusqu’aux institutions internationales, en passant par les gouvernements locaux et nationaux.

 
Travailler ensemble pour identifier les besoins

Le projet STEREO III SLUMAP (Remote Sensing for Slum Mapping and Characterization in sub-Saharan African Cities) avait pour objectif d’élaborer un cadre open-source et de développer des modèles permettant le traitement d’images d’observation de la Terre (OT) pour cartographier l'emplacement et l'étendue des zones défavorisées et extraire leurs caractéristiques de manière fine.

L’équipe, composée de membres de l’Université libre de Bruxelles et de l’Université de Twente (ITC), a tout d’abord évalué les besoins des utilisateurs en matière d'informations spatiales sur la précarité urbaine. L'accessibilité des données, leur mise à jour, leur agrégation, ainsi que les aspects éthiques et de confidentialité ont été analysés. En effet, il convient de s’assurer que les cartes ne puissent pas être utilisées contre les communautés (par exemple en cas de conflits fonciers ou d’expulsions forcées). Trois villes aux caractéristiques contrastées ont été sélectionnées comme zones d’études : Nairobi et Kisumu au Kenya (Kisumu étant un exemple de ville secondaire) et Ouagadougou au Burkina Faso.


Réunion des acteurs locaux à Nairobi.

Cadre de travail SLUMAP dérivé d'une enquête en ligne et d'autres interactions avec les parties prenantes.

 

Zones défavorisées à l’échelle de la ville…

La grande diversité des zones défavorisées, tant d'une ville à l'autre qu'au sein d'une même ville, rend difficile la conception de modèles génériques à l'échelle de la ville. Pour y parvenir, l’équipe du projet a utilisé les emprises au sol des bâtiments, disponibles publiquement, ainsi que des données satellitaires Copernicus Sentinel-1 et 2 et a élaboré un protocole d'apprentissage automatique (voir encadré) de cartographie utilisant un mélange de classification supervisée (càd où les classes sont préalablement définies) et non supervisée. Les modèles développés permettent de restituer la morphologie de la précarité urbaine sur des cartes quadrillées (100m x 100m) et peuvent être appliqués à des villes présentant différentes structures urbaines. Comme les zones défavorisées sont susceptibles d'avoir des frontières floues et changeantes, mais aussi pour des raisons éthiques, les cartes à l'échelle de la ville montrent une "probabilité morphologique de précarité " au lieu du paradigme binaire bidonville/non-bidonville.

L'apprentissage automatique ("machine learning") est un champ d'étude de l'intelligence artificielle qui se fonde sur des approches mathématiques et statistiques pour permettre à des systèmes d'apprendre à partir de données afin de réaliser des prédictions et de s’améliorer automatiquement sur base de l’expérience. Il permet de traiter de grands volumes de données et réduit l’intervention humaine.

 

En haut: probabilité morphologique de précarité (100m x 100m). En bas: exemples de morphologies de zones défavorisées à Ouagadougou (à gauche), Nairobi (au centre) et Kisumu (à droite).
...et en zoom avant

L’équipe a cartographié les zones défavorisées de manière très détaillée à l'aide d'images à très haute résolution, en utilisant ici aussi une approche d’apprentissage automatique mais appliquée à l'analyse d'images orientée objet (OBIA : Object-Based Image Analysis). Le principe de ce type d’analyse est de décomposer l’image en objets correspondants à ses différents éléments constitutifs et ensuite de classifier ces objets sur base de leur forme, de leur taille et de leurs propriétés spatiales et spectrales. Aujourd’hui, l’imagerie à très haute résolution est encore coûteuse, mais le projet a pu démontrer que les bandes spectrales de base (RGB) peuvent être utilisées pour cartographier le tissu urbain ainsi que des éléments rarement cartographiés, comme les tas de déchets et les véhicules. Les modèles développés par le projet sont en libre accès et applicables à n’importe quelle zone défavorisée au sein d'une ville. L’analyse des cartes détaillées a permis de générer des indicateurs qui, combinés à d'autres indicateurs dérivés de l'imagerie et des couches d’information en accès libre, permettent de caractériser les zones défavorisées en termes d'occupation des sols, de morphologie urbaine, d'environnement et de topographie.

En haut à gauche: occupation détaillée du sol dans les bidonvilles. En bas: indicateur de densité de déchets solides  (100m x 100m), bidonville de Mathare, Nairobi.
Le potentiel de la combinaison de l'OT et de la science citoyenne

Dans le cadre du projet de support associé PARTIMAP, l’équipe a conçu et mis en œuvre un outil de science participative pour cerner la perception de la précarité par les habitants et analyser comment celle-ci est liée à la physionomie urbaine visible sur les images satellite ainsi qu’à d'autres indicateurs spatiaux. Pour ce faire, une application mobile a été développée permettant aux habitants des bidonvilles de Nairobi de choisir, parmi des paires d’extraits d’images satellite couvrant des quartiers différents, ceux qui leur semblait être « les plus agréables à vivre". Sur base de plus d'un million de votes et grâce à des techniques de « deep learning » appliquées à l’imagerie satellitaire, l’équipe a pu dériver un score de perception de précarité. Grâce à l'apprentissage automatique, les indicateurs spatiaux ayant une forte influence sur la perception de la sévérité de la précarité ont également été identifiés.

En haut : score de perception de la précarité. En bas à gauche :  formation des habitants des bidonvilles à l'interprétation des images satellites. En bas à droite : application mobile pour la collecte des votes.

Les résultats du projet SLUMAP constituent des outils précieux d'aide à l'élaboration de politiques de réduction de la pauvreté fondées sur des données objectives. En ce sens, le projet contribue à la réalisation des objectifs de développement durable.

Plus d’infos

Projet STEREO SLUMAP (Remote Sensing for Slum Mapping and Characterization in sub-Saharan African Cities)

Cartographier les zones défavorisées